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LES CHAISES
(Eugène Ionesco)
Note d’intention, Bernard Crombey
Le théâtre, c’est avant tout un texte, et tout de suite après une équipe. C’est auprès de Frédérique Tirmont et Thierry Harcourt, que je m’empresse de vouloir les accompagner pour jouer le rôle du Vieux dans cette pièce magnifique.
Les deux vieux sont au crépuscule de leur vie. Ils font partis des plus faibles qui aspirent à monter de grade, mais qui ont tant de mal à y parvenir, qu’ils en inventent leur salut. Ils sont devenus un peu fous à traverser cette vie. Cela nous fait rire, mais surtout aussi nous émeut. Ne le sommes-nous pas tous un peu aussi – un peu fou, lorsque l’on vient frôler l’abime du dernier
jour, et davantage chaque jour un peu plus. Nous faire passer derrière l’abime par le rire… Quoi de plus salutaire ? Rire du tragique nous sauve, cela fait du bien au quotidien. Ionesco y excelle avec cette pièce, et nous donne une furieuse envie de jouer ses personnages, pour nous y délecter au plaisir du jeu dans une étonnante modernité. En effet, il est étonnant de voir comment le coté fantastique et un peu surréaliste de la pièce rattrape le temps au fil des ans, et vient se confronter aujourd’hui au plus proche du réel. Non seulement la pièce ne vieillit pas, à croire qu’elle ne vieillira jamais, mais aussi folle qu’elle puisse paraître, elle rejoint un certain réalisme qui nous trouble. Le monde ne serait-il pas réellement devenu fou ? Les êtres humains, ne sont-ils pas tous, plus ou moins capables de réactions un peu folles, ou plus ou moins incohérentes, lorsqu’ils s’approchent de l’abime ? La situation de la pièce, celle de ces deux vieux plongés dans une solitude extrême, qui imaginent une vie au milieu des autres que l’on ne côtoie plus, d’imaginer les revoir et de leur parler dans le vent, peut nous paraître tout à fait crédible aujourd’hui. Vivre, vivre, et vivre encore le plus intensément possible tous nos imaginaires jusqu’au dernier instant, pour conjurer le sort. La vieille et le vieux sont si démunis et si touchants, ensevelis sous leur sensibilité en totale perte de contrôle, perdus au milieu d’un monde que l’on ne peut ressentir qu’absurde, à part le fait de s’aimer jusqu’au bout
pour le meilleur et pour le pire. Ces deux vieux nous invitent à leur danse, qui au fil du temps, soixante-dix ans après sa création, n’a pas pris un faux pas. On a le sentiment que le vieux et la vielle ne mourront jamais, tant que l’amour et le théâtre existera. Ionesco devient alors maître du genre, magnifiquement. On rit, on est ému et c’est au final la poésie qui l’emporte. Quoi de plus beau au théâtre.